Derrière les attaques contre des journalistes, des opérations de désinformation et de haine en ligne


La journaliste indienne Gauri Lankesh, en 2017.

Le 5 septembre 2017, la journaliste indienne Gauri Lankesh est rentrée chez elle, à Bangalore, capitale de l’Etat de Karnataka, dans le sud du pays, après avoir mis la dernière touche à un article dont la publication était prévue deux jours plus tard dans son hebdomadaire, Gauri Lankesh Patrike. Titré « L’âge des fausses informations », le texte revenait en détail sur la diffusion virale d’une rumeur lancée par les conservateurs hindous, accusant l’opposition libérale de censure. Il montrait que l’information, émanant du site ultrapartisan Postcard News, était fausse et avait été largement diffusée par les militants du Parti du peuple indien (BJP, nationalistes hindous, au pouvoir) et des activistes d’extrême droite.

A son arrivée devant son bungalow, dans une rue calme loin du centre bruyant de la capitale indienne des technologies, Gauri Lankesh a été touchée par quatre tirs d’arme de poing. Elle est morte sur le coup. Deux hommes, dont l’image a été captée par des caméras de vidéosurveillance, ont pris la fuite à moto.

L’assassinat de Mme Lankesh est l’aboutissement d’un long processus, dans lequel la diffusion de fausses informations et la radicalisation de militants politiques jouent un rôle central. Forbidden Stories, l’association à but non lucratif, basée en France, qui poursuit le travail de journalistes tués ou réduits au silence, a enquêté durant plusieurs mois avec une vingtaine de partenaires, dont Le Monde, sur les pourvoyeurs de désinformation, au sein du projet baptisé « Story Killers ». Et, plus particulièrement, sur les mercenaires qui fournissent leurs services au plus offrant pour manipuler le débat public, attaquer les voix dissidentes et décrédibiliser les médias et les journalistes.

Lire notre archive (septembre 2017) : Article réservé à nos abonnés Une journaliste indienne, critique des extrémistes hindous, tuée par balles

Un an avant sa mort, Gauri Lankesh avait été victime d’une violente campagne en ligne, menacée au point de se résoudre, à contrecœur, à installer une caméra de sécurité à son domicile. Les deux hommes qui l’ont abattue devant chez elle ont été rapidement retrouvés par la police. Ils attendent leur procès en prison. Mais, derrière ceux qui ont appuyé sur la gâchette, se trouvent les désinformateurs ayant orchestré ces attaques, qui ont, eux, échappé aux poursuites.

Vidéo manipulée sur YouTube pour attiser la haine

Depuis la mort de Mme Lankesh, Postcard News, le média sur lequel elle enquêtait, n’a fait que croître, devenant l’un des principaux sites chéris de la droite indienne. Durant toute l’enquête sur cet assassinat, il a mené une véritable campagne pour chercher à faire porter le chapeau à des extrémistes de gauche, au mépris de toutes les preuves. Le propriétaire du site, Mahesh Vikram Hegde, est proche de la direction du BJP : il a fondé une entreprise de communication avec un conseiller ministériel du parti et est désormais à la tête d’un empire médiatique en ligne. Arrêté en 2018 pour avoir diffusé de fausses informations, M. Hegde s’était vanté, auprès des policiers, d’avoir « la bénédiction de plusieurs leaders de droite », et l’un des avocats qui l’ont défendu est le responsable de la branche jeunesse du BJP.

Il vous reste 54.7% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.



Source
Catégorie article Politique

Ajouter un commentaire

Commentaires

Aucun commentaire n'a été posté pour l'instant.